

"La cavale" : Le prologue
Les longs mois de ce début d'année sont particulièrement pénibles. La saveur du travail accompli s'estompe et laisse place à l'impatience que génère l'inactivité. Nous ne pouvons pas prétendre à ce que nos périples se succèdent sans interruption, dans l'indifférence totale et sans qu'aucun chien de chasse ne se lance à nos trousses. Il est évident pour tous, que nous finirons par être rattrapés par nos égarements respectifs passés, bien qu'ensemble, nous nous soyons tenus à énormément de réserve et de retenue. Parfois, l'union de dégénérés est un frein aux pulsions inassouvies.
Le temps est à l'accalmie, le soleil pointe timidement son nez chaque matin depuis quelques jours, mais nous sommes bouillants comme le lait sur le feu prêt à éclabousser les brûleurs de la gazinière. Le visage engourdi de Niño au lever du jour, la mauvaise humeur récurrente de Jick ou encore mon entrain à vouloir que tous soient debout aux premières lueurs, se sont mués en une routine que nous ne pourrons accepter de vivre plus longtemps. Je sens bien que l'ambiance est électrique. L'un ne lâche plus sa bâte des yeux, l'autre astique sans cesse sa lame à tel point que son fourreau sera bientôt à jeter à la poubelle, quant à moi, je suis las d'attendre et d'attendre encore ... et cette dose que je rêve de m'envoyer me rend dingue et irritable.
Quand j'y repense, que je reviens sur ce que nous avons passés, je ne peux que me considérer heureux d'être encore en un seul morceau, voire même encore en vie ! Chaque fois que ces pensées me tirent de mon négativisme insupportable, je m'acharne à rejeter chaque émotion de bonheur pour que seules mes idées noires n'existent dans mon cortex. Je ne vis que par l'adrénaline que mon corps fabrique, de ces situations inextricables dont je sors pourtant vainqueur coute que coute. Oh! J'en aurais laissé du monde sur le bord de la route, mais chacun aura eu le choix d'avancer avec moi ou bien de me laisser partir vers mon destin. Je n'ai jamais poussé ni ce blond vénitien, ni ce brun ténébreux à me suivre. Nous étions au bon endroit, au bon moment et notre fraternité s'est faite d'elle-même, je dirais presque très humainement, le paradoxe total pour ces trois psychopathes que nous sommes !
L'air remonte une odeur printanière qui nous donne béatement le sourire. On se prend à balancer des blagues pourries d'usage et propices à une journée détendue, mais il apparaît que nous avons tous les trois compris de ce dont il s'agit réellement. Aux prémices du printemps, nous partirions sur la route à nouveau. être en planque ne dure qu'un temps. Les bobos de panâmes sont sur nos traces, le gang des marseillais est impatient de nous mettre la main dessus et il nous faut rallier les espingouins de la catalogne pour espérer une issue digne de notre cavale. Je dis "nous", mais, je suis seul responsable de notre misère ... Certes Jick a choisi de trucider la mauvaise personne au mauvais moment, mais dans son infortune, il m'a rendu un grand service en s'en prenant à celui que je venais voler. Niño aurait pu sauver sa peau s'il n'avait pas tabassé le barman du seul club de Pigalle où il ne fallait pas se trouver le jour où je choisissais de passer à l'action. Je leur doit peut-être d'être en vie à ces deux fanfarons, mais, j'ai appris à les aimer, si tenté que j'ai encore du cœur à aimer qui que ce soit.
Nous sommes fin prêts. Il revient à Niño de se procurer le véhicule pour que nous partions rouler sur l'asphalte et balancer notre haine à nouveau dans ce monde que nous vénérons. Niño est le seul à connaître l'allumage des seuls engins dans lesquels je pose mes fesses de malfrat. Je voue une profonde religion aux voitures américaines des sixties. La Cadillac reste à mes yeux l'automobile de prédilection des émigrés dont je suis l'un des descendants. J'ai toujours rêvé de jouer au Jake Blues ou Elwood Blues des Blues Brothers, recherchés par la police de tous les états alors qu'ils sont en mission pour le seigneur. Cela fait très cliché j'en conviens, mais j'ai déjà vidé mon chargeur pour moins que çà.
Alors que Niño s'éloigne de la baraque où nous faisandions depuis des semaines, sans doute en ayant dissimulé sous sa veste une bouteille du jus qu'il affectionne de trop, Jick comme à son habitude, règle les détails de sa tenue vestimentaire au millimètre. Le prix à payer pour sa quiétude naturelle. De tous les fous que j'ai croisés, il est celui qui me fait encore le plus peur de tous. Jamais un mot plus fort que l'autre, jamais un sourire, et lorsqu'il parle, il se passe toujours quelque chose.
Jick et moi, en simple piétons innocents, prenons le chemin en direction du vieil aéroport, sur la base d'el Cazal, qui se trouve à quelques pas de notre planque de la banlieue Toulousaine. Ce site aéronautique est à l'abandon depuis quelques années déjà, parfait pour nos affaires. J'ai même entendu dire qu'une équipe de tournage avait utilisé les bâtiments vides pour tourner un clip sur fond de série noire "tarantinesque". Seule une tour est toujours en fonction pour la signalisation du trafic aérien, qui permet encore à quelques militaires de s'exercer sur une zone de largages plus à l'ouest. Le va et vient sur ce site est si peu sous le contrôle des pseudos dirigeants, que nous n'avons jamais eu aucune difficulté à pénétrer sur les lieux. Nous avons donné rendez-vous aux aurores à el Niño, et à la Cadillac que je lui ai demandé de récupérer auprès de la fourrière. Nous l'attendrons devant les portes du hangar à hélicoptère, juste en face du TaxiWay, près de la tour et non loin de la petite caserne de pompiers.
- Michée Rose -
"La cavale" - Bad Pigeons
